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Etre au monde, 52 poèmes pour apprendre à méditer

Blog de : fabrice

A l’occasion de la sortie de mon dernier livre Etre au monde, 52 poèmes pour apprendre à méditer (Arènes) je vous propose pour cette lettre de vous donner à lire l’introduction et l’un des poèmes commentés. 

Tout grand poème nous fait vivre une expérience méditative. Il nous ouvre à l’évidence des choses : une nuée de jonquilles, quelqu’un qui souffre d’être seul dans la nuit, l’ardeur de l’amour, le mouvement du tournesol avec la course du soleil…

À l’âge où les urgences nous font manquer l’essentiel, où la dictature de la rentabilité nous égare et où nous possédons tant de choses sans toujours les apprécier et les respecter, la poésie est précieuse. Elle nous plonge dans l’océan de notre propre vie. Et, comme la méditation, elle nous apprend à avoir confiance dans la gravité d’être, à surmonter la peur, les doutes et le carcan moral qui brisent en nous l’élan de vie.

Nous n’y faisons pas toujours attention, mais n’est-il pas frappant que, dans une situation où il s’agit de dire l’essentiel, nous ayons spontanément recours à la poésie ? Dans les moments poignants de l’existence, par exemple à l’occasion d’un mariage, il est fréquent que quelqu’un lise un poème. Nous sentons bien que nous n’arriverons pas à dire l’amour et l’espérance, l’importance d’être ensemble, la beauté de la vie — et tout ce qu’il convient alors de dire — par des réflexions banales ou un discours savant et abstrait. Nous savons qu’il faut aller à l’essentiel. Et la poésie nous y aide.

N’est-ce pas le même phénomène que l’on constate lors de la mort d’un être aimé ou lorsqu’un ami souffre ? Comment éviter d’être commun tout en restant simple ? Comment dire quelque chose qui aide vraiment ?

C’est là le cadeau que nous fait la poésie. Dans les moments importants de l’existence, elle se tient là, comme une amie précieuse. Elle nous confie une parole de vie.

L’enfance en nous

Peut être est-ce pour cela que les enfants sont aussi à l’aise avec la poésie. Qui n’a pas constaté la joie qu’ils ont à nous réciter un poème appris par cœur à l’école ?

Un de mes amis, psychanalyste pour enfants, me confiait son étonnement de voir la manière dont ses patients, dès l’âge de trois ans, étaient familiers avec cette écoute. Il lui arrive parfois de leur lire un poème pour les aider à traverser l’épreuve qui les a conduits auprès de lui.

Or, me disait-il, souvent, après la lecture, l’enfant le regarde. Il a entendu quelque chose qui le transforme et il le lui signifie. C’est un phénomène intrigant car l’enfant n’est pas toujours en âge de saisir toutes les subtilités du texte, et pourtant, il sent qu’il y a une cohérence et une tenue qui retiennent son attention et peuvent l’aider.

N’est-ce pas saisissant ?

En réalité, à l’écoute de la poésie, nous sommes tous comme des enfants. Nous n’avons pas besoin de tout comprendre, elle nous parle, nous touche et résonne sans que nous sachions exactement comment. Il y a là quelque chose en rapport à l’énigme même de notre humanité tissée par le langage.

La simplicité d’être un être humain

Dans mon souci de présenter la pratique de la méditation d’une manière laïque et occidentale, j’ai pour ma part pris le pli de m’appuyer sur la poésie. J’ai peu à peu constaté que c’était une façon d’aider chacun à comprendre le sens profond de la méditation.

Je lis un poème. J’en dis quelque chose en lien avec la pratique méditative. Puis je le lis à nouveau et vois souvent le visage des gens s’éclairer. Le poème les touche. Inutile de partir dans de grandes explications.

Ils ont fait l’expérience de la simplicité d’une chose ou d’un arbre, de la beauté d’une relation ou encore de la tendresse d’être un être humain…

La lecture du poème, en parlant directement à l’âme et au cœur, permet d’écarter cette inquiétude courante selon laquelle la méditation serait une forme religieuse, ardue et difficile, réservée à quelques-uns. Ou encore qu’elle serait une pratique orientale étrangère à notre propre culture, à notre histoire et aux défis que nous rencontrons.

La méditation n’est pas une technique mais un art de vivre

Il y a cependant une autre raison qui me conduit à présenter ainsi la méditation : je suis très gêné par la manière dont elle est aujourd’hui réduite à une sorte de technique pour améliorer notre productivité, ou, comme on dit à présent, pour « gérer son stress ».

En réalité, la méditation n’est pas un instrument ni une technique, elle est un art de vivre. C’est tout à fait différent. Nous souffrons tous, individuellement et collectivement, de l’obsession de la performance. Nous devons sans cesse faire mieux, être plus efficaces, plus productifs. Et ce depuis que nous sommes écoliers.

N’essayez pas de pratiquer comme on passe un examen, dans la peur constante de rater, de mal faire, d’être pris en défaut : entrez simplement en rapport avec ce qui est, là, maintenant. Vous verrez comme cela soulage !

Je crois qu’il faut faire très attention à l’ouragan du management. En écrivant ces lignes, je reçois une invitation pour cette conférence : « La méditation, l’ultime outil pour être efficace ». Ne pas voir combien un tel intitulé est barbare et participe de ce qui est en train de ruiner notre société procède d’un aveuglement inquiétant.

Non, la méditation nous libère de l’obsession de l’efficacité et, par là, elle nous rend à notre humanité si gravement menacée. Si tant de gens aujourd’hui souffrent, si la dépression est devenue la maladie de notre temps, si l’isolement ronge les liens sociaux, est-ce parce que les gens ne sont pas encore assez efficaces ou parce qu’on les prive de la simplicité de la vie ?

En lisant des poèmes, je crois que l’on fait œuvre sociale et politique : on préserve ce qui constitue l’essentiel de nos existences. Rien n’est plus précieux et plus important.

Lire un poème

À cette rencontre entre méditation et poésie, la poésie y gagne aussi. Nous comprenons mieux que l’important, lorsque nous lisons un poème, n’est pas de tout saisir— comme lorsque nous lisons un article d’information scientifique. J’ai certes appris à l’école à discerner dans un vers de Racine un tétramètre isochrone anapestique. Mais ce n’est pas ici ce que nous cherchons. Non, il suffit d’écouter la langue parler et de se laisser traverser par le poème. Alors, quelque chose aura lieu de profondément méditatif. Et c’est cela le plus décisif.

Avons-nous besoin de comprendre pourquoi la présence de cet homme ou de cette femme nous touche autant, pourquoi nous aimons cette musique, pourquoi les étoiles dans la nuit scintillent ? Non. Le phénomène suffit à nous combler. On peut ensuite chercher à le décrypter, mais là n’est pas l’essentiel et ce ne peut être le point de départ.

J’espère que ce livre, en vous montrant que la méditation et la poésie s’adressent vraiment à chacun de vous, tel que vous êtes, vous permettra d’en goûter la saveur précieuse qui peut faire tant de bien et susciter tant de joies.

J’espère que vous trouverez dans ces poèmes un appui pour vivre en pleine présence les divers moments de votre existence.

J’espère enfin que vous y découvrirez des chemins afin de vivre dans l’espace de la poésie et de découvrir des poèmes pour les diverses situations que vous traversez. 

C’est en tout cas dans ce dessein que je l’ai écrit. 

Comment l’amour nous rend meilleurs
Je me suis bien plus cher que je n’en ai coutume :
avec toi dans mon cœur, je vaux plus que moi-même,
comme une pierre qui, dès lors qu’elle est taillée,
passe en valeur, par là, sa roche originelle. 

De même qu’une page, manuscrite ou peinte,
retient mieux l’attention qu’un quelconque chiffon,
ainsi fais-je depuis que je suis une cible
où tes traits sont empreints — non que j’en aie regret ! 

Nanti de pareil sceau, il n’est lieu où je n’aille,
sûr comme un homme armé ou fort d’un talisman
qui d’un coup réduirait tout péril à néant. 

J’ai barre sur le feu et j’ai barre sur l’onde.
Grâce à ton effigie, je fais voir les aveugles
Et j’assainis de ma salive tout poison. 

Michel-Ange, « Sonnet à Tommaso Cavalieri », XXXVIII
Traduction de Pierre Leyris, Poèmes, Gallimard, 1992.

*

L’amour nous rend bons et heureux

Ce poème me transporte d’enthousiasme chaque fois que je le lis. Il dit de manière si simple et magistrale le miracle de l’amour. Nombre de poèmes, mais aussi de romans ou de films, nous racontent les mésaventures ou les tourments amoureux. Si tout s’arrange, ils se contentent de dire : « IIs vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. »

Mais qu’est-ce que le bonheur d’aimer ? Certes, le dire n’est pas aisé. Il faut, pour y réussir, creuser ce qu’on éprouve, laisser tomber les circonstances et approcher l’amour lui-même. Michel-Ange, que l’on connaît surtout pour sa peinture de la chapelle Sixtine et ses géniales sculptures, fut aussi un poète extraordinaire qui montre ici la voie.

La méditation a été pour moi, comme pour nombre de ceux qui s’y engagent, un espace de rencontre sans cesse renouvelé de l’amour. Elle nous montre derrière la crainte d’être abandonné, d’être enfermé, de ne pas réussir à aimer comme il faut, la simplicité toute bouleversante de l’amour.

Il existe par ailleurs des pratiques spécifiques pour mieux reconnaître et vivre en cet amour.

Au fur et à mesure des années, je les enseigne de plus en plus souvent, frappé de leur extraordinaire puissance. Après s’être posé dans le présent, on évoque un moment où l’on a ressenti cette expérience toute simple d’amour et on se pose en elle. Au lieu de revenir à la présence corporelle, au souffle et à l’environnement comme dans la pratique de la présence attentive, on reste dans le cœur ouvert, tendre et nu.

Il s’apaise ainsi peu à peu et nous retrouvons le goût pur de l’amour.

La métamorphose de l’amour

Que se passe-t-il alors quand j’aime et quand je suis aimé ? Je deviens ! Incroyable affirmation ! L’amour nous fait réaliser qu’un autre être que nous a la clé de notre propre existence. Oui, la clé de notre existence, que nous cherchons de tout côté, souvent en nous-mêmes dans un narcissisme qui nous égare, se trouve dans une autre personne.

Telle est la découverte de Michel-Ange : l’incomplétude décisive de mon être n’est pas un malheur mais une chance, « avec toi dans mon cœur, je vaux plus que moi-même ».

On connaît les circonstances qui ont conduit à l’écriture de ce poème : à l’âge de cinquante-sept ans, Michel-Ange (1475-1564) rencontre à Rome Tommaso Cavalieri (1509-1587), un jeune artiste romain âgé de vingt-trois ans dont il s’éprend éperdument. Il raconte dans ce poème la métamorphose qu’opère l’amour. Ce qui en moi était incomplet, manquant, se complète. Ce qui était fatigué s’éveille. Ce qui était mort revit.

 

La méditation nous aide à nous libérer de deux erreurs qui nous privent de tout rapport juste à l’amour : le découragement cynique et le narcissisme consommateur. Elle nous montre comment retrouver la dimension si précieuse de pur don propre à tout amour véritable.

Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation