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Comment la philosophie peut nous sauver ?

Blog de : fabrice

Je suis heureux de vous annoncer la sortie de mon dernier livre. J'y travaille depuis de très nombreuses années. Il y trois ans, j'avais consacré les soirées hebdomadaires de l’Ecole occidentale de méditation à ce regard sur la philosophie. Ces enseignements ont servi à établir une première version de l’ouvrage largement reprise et méditée depuis.

La philosophie et la méditation ont beaucoup plus à voir l'un et l'autre que nous pourrions le croire au premier regard. C'est à retrouver leur lien profond que je me suis ici engagé.

Quel est le lien entre philosophie et méditation ? Comment entrer dans la philosophie sans être pour autant philosophe; ni même initié à la philosophie ? Pourquoi la philosophie n’a-t-elle rien à voir avec l’étalage public de culture générale à laquelle elle est partout identifiée ? Comment peut elle aujourd’hui nous sauver ?

Pour vous présenter l'ouvrage, voici le second chapitre du livre...

bonne lecture

Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation 

Pourquoi veut-on vous rendre incapable d’attention ?

« L’Attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité »

Simone Weil, Correspondance avec Joë Bousquet


Ce que « faire vraiment attention » veut dire

Pour questionner, il faut s’arrêter, prendre le temps de s’ouvrir à ce qui est. C’est difficile et parfois même irritant !

Est-ce qu’on ne peut pas continuer à vivre comme nous le faisons ? Pourquoi être sans cesse réveillé et bousculé ? Pourquoi se laisser remettre en cause par la philosophie ?

Cette exigence a fini par rendre furieux les Athéniens qui ont alors mis à mort Socrate, choisissant ainsi d’être aveuglément en paix.

Mais comment faire ? Comment ne pas renoncer à questionner ?

Il faut apprendre à faire attention. Comme Simone Weil le souligne, ce n’est pas du tout facile : « Il y a quelque chose dans notre âme qui répugne à la véritable attention beaucoup plus violemment que la chair ne répugne à la fatigue. Ce quelque chose est beaucoup plus proche du mal que la chair. C’est pourquoi, toutes les fois qu’on fait vraiment attention, on détruit du mal en soi. »

Quand j’ai lu ces analyses sur l’attention, j’ai été déconcerté. Nous ne croyons pas spontanément qu’il y a là une question décisive, que le socle de toute éducation repose sur cette capacité et que la philosophie dans son sens le plus plein est une exigence d’attention.

Nous ne voyons pas même, souvent, à quoi renvoie l’attention, et tout simplement ce qu’elle est. Je vais dans ce chapitre chercher à comprendre ce que nous dit ici Simone Weil et pourquoi, de manière aussi surprenante, elle établit un lien entre l’attention et le mal.

L’attention menacée

Commençons en partant de notre situation commune.

Selon les dernières études, à l’école, il est aujourd’hui devenu difficile à un enseignant d’obtenir que les élèves lui accordent plus de cinq minutes d’attention. L’attitude de zapping intégral ronge peu à peu tout.

Un adolescent américain moyen reçoit et émet plus de cent SMS par jour, soit une dizaine pour chaque heure d’éveil.

Lorsqu’on demande à un employé de bureau ou à un cadre combien de fois ils vérifient leur messagerie, ils répondent qu’ils le font toutes les heures. Or en réalité ils le font en moyenne toutes les huit minutes !

Dans cette situation, nous sommes distraits en permanence. Et toutes les études montrent que cette situation ne va pas cesser de croître d’année en année. Or une autre étude souligne que nous nous sentons mieux, plus heureux et épanouis quand nous sommes présents à ce que nous faisons.

Autrement dit, cette situation nous rend malheureux. Elle est même la cause du stress et du burn-out.

Mais surtout elle a des conséquences sociales et politiques redoutables. Quelle société humaine est possible si nous sommes privés d’attention et donc soumis à toutes les manipulations et endoctrinements ?

Retrouver la capacité à faire attention – qui est le geste de la philosophie – est plus que jamais nécessaire tant pour notre propre équilibre que pour celui de notre société.

Mais la chose est difficile, non seulement parce que faire attention n’est pas facile, comme le souligne Simone Weil, mais parce que l’attention est paradoxale.

L’attention, la volonté et l’effort musculaire

En effet, je ne peux pas décider d’être attentif, comme je peux décider d’ouvrir la porte de mon frigidaire. La confusion est si fréquente que Simone Weil remarque : « Si on dit à des élèves : maintenant vous allez faire attention, on les voit froncer les sourcils, retenir la respiration, contracter les muscles. Si après deux minutes, on leur demande à quoi ils ont fait attention, ils ne peuvent pas répondre. Ils n’ont fait attention à rien. Ils n’ont pas fait attention. Ils ont contracté leurs muscles. On dépense souvent ce genre d’effort musculaire dans les études. Comme on finit par fatiguer, on a l’impression qu’on a travaillé. C’est une illusion. La fatigue n’a aucun rapport avec le travail. »

Ces remarques sont d’autant plus lumineuses que nous croyons spontanément le contraire. Lorsque je veux saisir quelque chose, je fais un effort, sans me rendre compte que cet effort m’empêche d’accomplir ce que je désire. Il nous faut apprendre non à nous crisper, mais à faire attention.

Quand j’étais jeune étudiant pour gagner ma vie, j’ai longtemps donné des cours pour aider les élèves à organiser leur travail et réussir examens et concours. J’ai pu constater l’illusion qui régnait dans nombre de familles : elles croyaient que la réussite dépend de la quantité de temps passé à travailler. Si l’enfant avait des difficultés, c’était qu’il ne travaillait pas assez, qu’il manquait de volonté. Or en réalité, à de très rares exceptions près, ce dont ils souffraient était de ne pas savoir sur quoi il fallait porter leur attention – comment faire.

Certains passaient des heures et des heures à faire des travaux en réalité inutiles qui leur donnaient bonne conscience mais les laissaient épuisés ; d’autres ne travaillaient pas tout simplement parce qu’ils ne savaient pas comment s’y prendre, incapables de mobiliser leurs capacités. Il en est de même dans nombre de situations.

L’attention n’est pas une forme de passivité

Si l’attention n’est pas identifiable à la volonté, elle n’est pas non plus un état de pure passivité. Confondre les deux est une autre erreur fréquente.

Je regarde la télévision. Je pourrais croire que je suis attentif à ce qui se passe tant je suis absorbé par le programme. Or en réalité, je ne suis pas attentif, mais captivé ­– c’est-à-dire prisonnier d’un état où je suis gavé d’informations et d’émotions. Le sentiment de bien-être hypnotique qui s’ensuit n’est en aucun cas du même ordre que l’apaisement qui m’accompagne quand je fais preuve d’une authentique attention. Je suis alors, comme le constate Husserl, éminemment actif dans un engagement qui repose sur le plein exercice de ma liberté.

Pourquoi veut-on vous priver de votre capacité à faire attention ?

La plupart des philosophes, même les plus rationalistes comme Descartes, Malebranche ou Leibniz, ne font pas d’abord une apologie de l’intelligence systématique, mais un éloge de l’attention. Car c’est elle qui nous dispose auprès des choses et nous empêche de partir dans des élucubrations fantaisistes. Comme le rappelait Platon dans Le Sophiste, penser, c’est avant tout penser à quelque chose – autrement dit, penser consiste d’abord à s’ouvrir à ce qui est, à le considérer, à en remarquer les manières d’être, à repérer de plus en plus finement les articulations et les liens subtils qui le constituent.

La philosophie est d’abord pour cette raison le régime de l’attention.

Mais pourquoi manquons-nous d’attention ? En raison même du paradoxe constitutif à l’attention. Si vous voulez être attentif, vous devez faire attention à quelque chose que vous ne connaissez pas ou que nous ne connaissez pas encore bien. Vous savez simplement qu’il y a là « quelque chose » et vous désirez savoir « ce que c’est » et « comment » cela est. En ce sens, l’attention est toujours attente que quelque chose apparaisse, se manifeste, se révèle.

Prenons l’exemple de contempler un tableau. Je peux l’avoir vu plusieurs fois et très bien le connaître. Mais lorsque je le regarde, l’expérience que je fais est toujours neuve. Je peux me rappeler que le tableau est beau, mais le souvenir que j’en garde ne suffit pas à m’en faire apprécier la beauté. Pour qu’elle m’apparaisse, il faut que je fasse attention à la situation présente. Et quand je fais ainsi attention, je laisse tomber mes inquiétudes, mes préconceptions ou mes distractions pour m’ouvrir à la réalité présente.

Cette attitude est l’antipode du management publicitaire et industriel actuel qui vise, pour sa part, à nous voler notre attention – et par là notre liberté.

Des enquêtes éclairantes montrent comment ont été construits, pour des raisons de domination politique et financière, des mécanismes qui empêchent la patience inhérente à toute attention véritable. C’est tout l’enjeu de la publicité qui s’est infiltrée dans tous les champs de l’activité humaine, y compris dans la sphère politique – sans que nous en mesurions bien les conséquences.

Albert Lasker, considéré comme le fondateur de la publicité, avait réussi en 1896, à faire élire Robert Hawley, jugé par tous comme étant le candidat le moins compétent. Il montrait ainsi le pouvoir de la publicité – pouvoir qui a désormais une considérable emprise. Son dessein est de nous voler notre présence d’esprit afin que nous suivions une injonction à voter pour untel ou à consommer tel produit.

Aujourd’hui, ces procédés, qui bénéficient d’études de pointes sur les mécanismes cognitifs, sont infiniment plus redoutables qu’à l’époque et devraient nous inquiéter.

Le management publicitaire sous toutes ses formes s’en prend de manière délibérée à notre attention. Il la remplace par un « gavage » frénétique dont le dessein est de nous manipuler.

Tout désormais appartient à ce régime – la publicité certes, mais aussi la télévision, ou la politique. Notre l’attention s’émousse. La question n’est pas d’être pour ou contre la publicité, pour ou contre la télévision, mais de comprendre le motif qu’utilisent ces moyens pour nous soumettre à une forme nouvelle et impersonnelle de soumission.

J’espère que vous commencez à mieux percevoir pourquoi interroger l’attention est aujourd’hui aussi décisif.

Perceval ou le drame de l’innocence

Pour faire comprendre le génie de l’attention et son lien avec le mal, Simone Weil évoque la figure de Perceval le Gallois. Ses aventures, liées en partie à la quête du Graal, ont donné à l’Occident un nouveau socle, à côté de la Bible et des grands mythes grecs. Elles ont été reprises et développées par de très nombreux auteurs dans la plupart des pays européens durant tout le Moyen Âge.

Perceval est le dernier enfant de sa famille. Son père et ses six frères étant morts au combat, sa mère veut le tenir à l’écart de la chevalerie, espérant ainsi le garder auprès d’elle. Elle ne lui dit rien de ses origines et le prive de toute éducation. Un jour, il rencontre des chevaliers de la cour du roi Arthur. Il décide aussitôt de les suivre alors même qu’il ne sait rien de leurs us et coutumes.

Il se rend ainsi, peu après, à la cour du roi Arthur, au moment précis où un chevalier inflige à la Reine un violent outrage, lui arrache la coupe d’or avec laquelle on la sert, lui en jette le contenu à la figure avant de s’enfuir. Personne ne bouge. L’assemblée est tétanisée.

Perceval seul réagit et part aussitôt à la suite de cet inquiétant chevalier. Il le rejoint et l’affronte en un combat dont il sort vainqueur.

C’est le début de nombreuses aventures où chaque fois son innocence lui permet de faire des merveilles. Qu’est-ce que l’innocence ? Le fait de pouvoir entrer dans une situation sans idées préconçues. C’est pour cette raison que Perceval est le héros de l’attention : il est profondément libre.

Mais cette innocence est aussi son drame.

Faire attention, c’est aussi pouvoir répondre à la souffrance

Perceval est un héros mal dégrossi qui ne connaît pas les règles et conventions sociales et qui ignore du coup comment se relier aux autres.

Un jour, au cours d’une de ses aventures, Perceval rencontre un vieillard richement vêtu. Il accueille Perceval gracieusement et le fait chevalier. Le lendemain, Perceval se trouve devant un autre château. Il y est reçu, fort courtoisement, par un autre Seigneur qui souffre d’une grave infirmité.

Pendant le festin qu’il lui offre, un cortège passe. D’abord avancent deux hommes qui portent une lance du haut de laquelle le sang ruisselle. Puis un grand plat est apporté sur lequel repose une pierre miraculeuse. C’est le Graal !

Or Perceval ne pose aucune question. Il ne fait pas vraiment attention à ce qui se passe.

Depuis que j’ai lu cette histoire, elle me hante. Que veut-elle dire ? Simone Weil la déchiffre de manière très convaincante. Perceval, nous dit-elle, est prisonnier de lui-même. La souffrance des autres ne le concerne pas. Son manque d’attention l’isole. C’est ce que sous-entend le conte : le lendemain, une jeune fille qui l’escorte hors du château lui explique qu’il a, la veille au soir, rencontré le roi dont la blessure plonge le pays tout entier dans l’affliction et la douleur. « Ton silence, lui dit-elle, nous fut un malheur. Il fallait poser la question ; le roi pêcheur à triste vie eût été guéri de sa plaie ».

Faire attention, c’est en effet pouvoir guérir le monde. C’est pourquoi l’attention seule peut permettre à tout homme de trouver ce que le mythe nomme le Graal, la pierre miraculeuse qui rassasie toute faim.

Il ne suffit pas d’être ouvert à ce qui se passe, encore faut-il se laisser toucher par ce qui advient. L’attention ne peut pas être simplement un instrument de puissance et d’efficacité, elle doit ouvrir la possibilité d’être plus amplement ouvert et sensible. Elle est donc inséparable de l’amour qui permet de demander à tout homme : « de quoi souffres-tu ? » pour pouvoir ensuite y répondre. C’est ainsi qu’est reconnu l’être qui est malheureux. Il est exactement semblable à nous. Il est pleinement un homme et non un élément d’un ensemble donné.

Méditation sur l’apprentissage de l’attention

Quand nous sommes trop préoccupés par nous-mêmes, par nos problèmes, trop stressés ou inquiets, nous ne réussissons pas à nous accorder à ce qui est. Nous sommes comme Perceval à la table du roi pêcheur.

Mais il est possible d’exercer son attention. Comment faire ? Le plus simple est de commencer par restreindre d’abord notre champ d’exploration de telle manière que nous puissions remarquer si nous sommes vraiment attentifs ou non.

Simone Weil disait chaque jour le Notre Père. Elle recommençait sa récitation chaque fois qu’elle prononçait un mot ou une phrase en pensant à autre chose. La seule chose qui lui importait était d’être pleinement attentif aussi bien au son qu’au sens de chaque syllabe prononcée.

On peut faire le même exercice avec un poème. Lisons-le en essayant simplement d’être entièrement en rapport à son propos et à son rythme.

Ce qui importe dans cet exercice est de se confronter avec honnêteté à notre difficulté à être simplement à ce qu’on fait. Quand l’esprit part à la dérive, il faut simplement le ramener à son point de focalisation : ici les mots que l’on prononce.

La récitation d’un texte connu par cœur a le grand avantage de nourrir votre présence. Vous revenez au sens des mots qui du coup entrent en vous.

Méditation sur la découverte de la présence attentive

Aujourd’hui, la pratique de la méditation de présence attentive – souvent appelé « pleine conscience » – connaît un immense essor. Elle est un formidable apprentissage de l’attention.

Le phénomène est surprenant. Quand j’ai commencé à pratiquer la méditation, elle était peu connue. Elle semblait une discipline étrange, venue de l’Orient et réservée à quelques personnes singulières.

Aujourd’hui, elle est transmise dans les hôpitaux, les prisons, les écoles, les entreprises et même, aux États-Unis, dans les prisons. Des recherches en sciences sociales et en sciences cognitives expliquent comment elle agit et établissent sur des bases scientifiques les bienfaits qu’elle engendre.

Le phénomène ne fait que commencer. La menace qui pèse sur notre attention est si grave, les conséquences en sont si lourdes, que la méditation va continuer à se démocratiser. Il faudra par exemple réapprendre aux enfants comment faire attention et éduquer les adultes à vivre en appréciant le moment présent sans avoir besoin d’allumer son téléphone portable. Il faudra montrer à tous comment réussir à passer quelques jours sans être soumis à un flux constant d’informations et de connexions.

Mais comment pratique-t-on la méditation ?

Commencez par porter attention à un objet précis. Le plus évident est la respiration. Elle a l’avantage d’être vivante et de changer constamment. L’attention que vous allez lui porter ne risque donc pas d’être figée.

Très vite, vous allez être attirés par des éléments distrayants qui vous privent de votre focalisation sur votre respiration. Chaque fois que vous le remarquez, revenez au moment présent.

C’est aussi simple que cela !

Mais vous verrez que s’adonner à cet exercice est difficile. Votre esprit vagabondera sans cesse. Vous suivez une respiration et déjà vous êtes en train de ressasser un problème ou une remarque désagréable qui vous a été faite, ou encore vous songez à ce que vous pourrez faire après.

Il ne faut cependant pas se décourager.

L’important n’est pas de réussir quelque chose, mais de faire ce mouvement de revenir encore et encore au moment présent. Peu importe que vous reveniez souvent ou rarement, que vous partiez fréquemment dans une sorte de vagabondage mental ou non.

En faisant cette méditation, vous découvrez le sens même de l’attention – qui n’est ni une forme de volonté, ni une forme de passivité.

Pour s’aider à être plus alerte et maintenir une attention plus fine, il est bon de s’asseoir le dos droit. Hegel dans ses Cours d’esthétique, souligne que la singularité de l’homme est de pouvoir adopter la position verticale : « Le corps animal est parallèle au sol, la gueule et les yeux se trouvent dans le prolongement de l’échine, et l’animal est incapable de changer par ses propres moyens ses rapports avec le centre de gravité. Le cas de l’homme est tout à l’opposé, en ce sens que l’œil qui regarde droit devant si forme, dans sa direction naturelle, un angle droit avec la ligne de gravité et du corps. L’homme est bien capable, comme les animaux, de marcher à quatre pattes, et les enfants le font effectivement. Mais avec l’éveil de la conscience, l’homme s’arrache à cet attac! hement animal au sol et adopte pour lui-même une position libre et droite. » Et en effet, en prenant cette posture, vous trouverez une véritable droiture qui favorise l’attention.

Lorsque j’enseigne la méditation, je fais souvent face à une réticence à devoir rester dans une telle posture verticale qui n’est, certes, pas toujours confortable. Au fond, l’idée que la posture corporelle joue un rôle sur l’esprit déconcerte. Nombre de gens croient que leur manière de se tenir n’a aucune importance. Mais la droiture corporelle n’est pas une caractéristique anatomique contingente. Elle dit l’attitude morale que nous adoptons. C’est en ce sens qu’Ernst Bloch affirmait sous forme d’un aphorisme : « sur mille guerres, il n’y a même pas dix révolutions : tant il est difficile de redresser le dos courbé ».

Méditer, c’est redresser le dos – acte qui a de nombreuses répercussions éthiques, politiques et sociales.

Portrait de Montaigne en maître zen

La méditation comme cette invitation à vivre dans le présent vivant reste encore identifiée aujourd’hui à une technique orientale. Elle nous semble alors étrangère. Mais si c’est par ce détour qu’aujourd’hui nous la découvrons, elle a souvent été développée sous une forme ou une autre au cours de notre histoire.

Quel est l’auteur qui a écrit : « Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moi » ?

Vous avez peut-être pensé qu’il s’agit là d’une phrase d’un maître Zen venu du lointain Japon.

Il s’agit de Michel de Montaigne ! Il existe, nous dit-il, une méditation essentielle où il ne s’agit pas de penser à quelque chose, mais d’apprendre à vivre au présent, d’apprendre la patience d’être simplement là où nous sommes.

Voilà qui ne nous est pas du tout évident, comme le constate Montaigne. Nous croyons que le rapport au temps que nous devrions avoir est de l’ordre d’une maîtrise – il faut le gérer au mieux grâce à un « emploi du temps » efficace. Il faudrait s’activer toujours plus rapidement pour ne pas « perdre son temps ». Or nous nous trompons. Cette course en avant nous ferme à un rapport réel au temps ainsi qu’à nous-même. Le temps, comme ce moment qui vient à nous maintenant, doit être habité. Voilà la grande leçon de l’attention.

Nous n’avons pas à rentabiliser le temps, mais à le vivre. Montaigne avait une manière tout à fait truculente d’exposer ce défi : « Ésope, ce grand homme, vit son maître qui pissait en se promenant. » « Quoi donc, dit-il, faudra-t-il donc chier en courant ? Ménageons le temps, encore nous en reste-t-il beaucoup d’oisif, et mal employé » .

Je crois que la rencontre de la philosophie et de la présence attentive est un événement décisif. Car la philosophie nous apprend que cette présence attentive ne doit pas être restreinte à une simple technique de bien-être, mais préserve notre propre humanité et ouvre à la question décisive du sens.

Entretien vidéo de Fabrice Midal:
http://www.philosophies.tv/chroniques.php?id=857

Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation