Il y a des certitudes que l'on croit définitives, difficiles à ébranler. Pour la plupart des gens, le mont Moïse est cette montagne au pied du monastère Sainte-Catherine, dans la pointe sud de la péninsule du Sinaï. Mais depuis une trentaine d'années, cette identification est remise en cause. Pourquoi ? Comment ? Le travail d'Emmanuel Anati à Har Karkom éclaire d'un jour nouveau l'identification du mont Moïse.
Il peut paraître saugrenu de vouloir débaptiser le mont Moïse par une autre 
montagne de la péninsule du Sinaï. Mais l'analyse des textes bibliques, et 
notamment les indications géographiques fournies, montre que le mont Moïse se 
trouve ailleurs. Une des localisations possibles est le nord Sinaï, plus en 
correspondance avec les textes anciens. Mais un autre site pose la question : et 
si la montagne de Har Karkom, dans le désert du Néguev, était le véritable mont 
Sinaï. Har Karkom est le nom hébreu (montagne de Safran) pour Djebel Ideid. Site 
important avec de nombreux vestiges et témoignages, notamment de la période 
prédynastique égyptienne, Har Karkom est rarement mentionné dans les ouvrages. 
La fouille s’étend sur environ 200 km2 et les fouilles sont discontinues depuis 
29 ans !
Har Karkom : un site sacré d'une importance 
insoupçonnée
Jusqu'aux fouilles d'Emmanuel Anati, nous ne connaissions pas 
toute l'importance de ce lieu. Il faut dire qu'aucune fouille, qu'aucune 
exploration n'avait eu lieu. Isolé, loin de tout ou presque, le site ne semblait 
même pas indiqué dans la Bible. Har Karkom semblait donc hors de tout contexte 
biblique. 
Et pourtant, depuis les premières explorations dans les années 
1950, Har Karkom révèle une importance inconnue. Au moins dès 4000 av. J.-C., 
Har Karkom connut une intense activité au pied de la montagne dite des 
sanctuaires. Cette intense activité court jusqu'à la fin du IIIe millénaire. Le 
site est littéralement recouvert d'outils et d'ustensiles en silex, des dizaines 
de milliers de gravures de différentes étapes et de centaines de sites là aussi 
de différentes époques. 
En 1992, l'équipe italienne découvrit un sanctuaire 
(?) datant du paléolithique et se situant sur un des bords du vaste plateau du 
Har Karkom. Autre découverte exceptionnelle, celle d'une quarantaine de 
monolithes (en silex toujours) aux formes plus ou moins étranges. Cette présence 
n'est pas due au hasard. Certains blocs dressés rappellent une forme humaine, 
allant jusqu'à un mètre de hauteur. Ce lieu serait donc un lieu particulièrement 
sacré pour des rites, des rassemblements, voire un pèlerinage. 
Une énigme 
reste à résoudre : pourquoi, sur plusieurs millénaires, des sanctuaires de toute 
époque se sont succédés précisément à Har Karkom ? Des habitats furent bâtis au 
pied de la montagne sacrée pour une utilisation ponctuelle (visiblement). Que 
représentait exactement cette montagne ? Et autre curiosité, le professeur Anati 
conclut qu’il était interdit d’y grimper pour le commun des mortels. Cela 
rappelle un passage de la Bible… Autre curieuse ressemblance : un temple au 
sommet de la montagne, ou encore une plate-forme en pierre avec 12 stèles (en 
référence aux 12 tributs d’Israël ?). En 1998, un mystérieux tumulus de pierre 
fut exploré. Les archéologues le prirent pour un monument funéraire ; or la 
fouille révéla qu’il s’agissait de tout autre chose. Au cœur du monument, un 
gros bloc de pierre noire y était placé. Il s’agirait d’un monument de 
témoignage (envers Dieu ?), rappelant ce que la Bible nomme gal-ed. D’autre 
part, un bloc de pierre blanche y fut aussi déposé, pouvant signifier une 
quelconque référence au dieu de la Lune, Sin. D’ailleurs, le nom Sinaï pourrait 
venir de Sin… Est-ce que Har Karkom possédait un lien, un sanctuaire à Sin ? 
Peut-être, et de nombreuses gravures rupestres évoquent l’animal accompagnant 
Sin : le bouquetin.
Autre découverte étrange sur une des pistes 
permettant l’accès au mont Karkom, des stations cérémonielles avaient été 
installées sur le parcours. Et ces vestiges remontent jusqu’au paléolithique ! 
Cela prouve l’ancienneté extrême d’une montée cérémonielle vers le haut plateau 
du Har Karkom !
40 000 gravures
Le plus impressionnant durant les 
fouilles du site fut le catalogage des très nombreuses gravures : plus de 40 000 
sans doute ! Ces gravures rappellent en partie des événements liés au site. 
L’exploration a mis aussi en évidence une pratique étonnante : la construction 
de grands cercles en pierre, avec érection de stèle et allumage de grands feux ! 
La fonction de ces feux (dont certains semblent atteindre plus de 20 mètres de 
diamètre) reste inexpliquée. Cependant, ils ne semblent pas être funéraires (pas 
de trace de corps). Faut-il y voir un parallèle avec le buisson ardent 
biblique ? Une chose est cependant certaine, les gravures s’étalent sur plus de 
1000 ans, jusqu’à l’époque islamique !
Comme le note Anati dans ces 
écrits, des gravures rappellent des passages de la Bible : le serpent et le 
bâton (le bâton se transformant en serpent quand Moïse le jette au pied de 
pharaon), tablette double avec dix sections (comme les tables de la loi !), 
l’une des gravures les plus étonnantes. Mais tout ceci semble bel et bien 
antérieur à l’écriture de la Bible. Alors la question fatale arrive : Har Karkom 
est-il réellement le mont Sinaï et le lieu qui influença des passages entiers de 
la Bible ?
Crédible ou non ?
Que l’on soit d’accord ou non avec 
Emmanuel Anati, la communauté de l’archéologie et la recherche biblique parlent 
peu ou pas du tout de la théorie d’Anati et de son travail, et ce même si 
aujourd’hui, des arguments plaident pour déplacer le mont Sinaï. Nous ne 
trancherons pas la question mais il est dommage que ce travail ne soit pas 
sérieusement étudié par la communauté. Ce n’est pas en l’ignorant que cela fera 
avancer le débat. Pour notre part, même si les présentations et analyses 
apparaissent parfois extrêmes et audacieuses, elles ont le mérite de remettre en 
question des événements que l’on pensait établis. Rappelons tout de même que 
l’existence même de Moïse reste à prouver, ainsi que l’existence réelle de 
l’Exode. D’autre part, nous savons aujourd’hui qu’établir l’Exode vers 1300-1250 
av. J.-C. ne correspond pas à la réalité historique de la région et encore moins 
de l’Égypte. Il faudrait le placer quelques siècles avant. 
Pourquoi 1000 
ans d’abandon ?
L’histoire de Har Karkom n’est pas continue et l’archéologie 
a mis en évidence un abandon très long entre 1950 et 1000 av. J.-C. Pourquoi ? 
Il semble que cela puisse s’expliquer par une modification climatique de la 
région et à une extrême sécheresse. Mais en l’an mille, le site retrouve une 
activité plus ou moins soutenue.
Pour aller plus loin
E. Anati, Les 
mystères du mont Sinaï, Bayard Éditions, 1999.

 
 