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Et si de l’amour on ne savait rien ?

Blog de : fabrice

Ce billet est la première partie de la causerie faite lors du week-end 22-24 février 2010 à Paris organisé pour la sortie de Et si de l’amour on ne savait rien ?

La catastrophe

La plupart des êtres humains sont blessés. L’amour leur manque. Cette situation est d’autant plus douloureuse que nous sommes à une époque qui engendre cette situation de détresse.

Si nous voulons retrouver le sens de l’amour, il importe de décrire le plus précisément possible son dévoiement. L’approche de l’amour partout véhiculé, même si nous ne nous en rendons pas compte, nous ronge.

Quelle est cette conception morbide ?
Le fait de déchirer l’amour, plaçant d’un côté l’amour physique et de l’autre l’amour spirituel – d’un côté le plaisir des organes et de l’autre une sorte de sentimentalité vague et abstraite. Cette déchirure à une histoire beaucoup plus complexe qu’il ne le semble au premier abord et à des conséquences bien plus malheureuses qu’on ne le pressent habituellement. Ce sont elles que je vais ici vous présenter.

 

L’amour pris entre l’étau du corporel et du spirituel

Première conséquence, nous retreignons l’amour à une fonction biologique. Ainsi nombre d’ouvrages actuels traitent de l’amour en termes pulsionnels, hormonaux ou encore génétiques ! L’amour serait un processus que le chercheur en biologie serait à même de mesurer dans son laboratoire.

La psychologie et la psychanalyse de leur coté, comprennent l’amour sous l’angle de la pulsion libidinale.
Dans les deux cas, le résultat revient au même : l’amour serait de l’ordre de la satisfaction génitale, de l’apaisement ou de la décharge d’une tension hormonale, nerveuse ou psychique. Or cette conception est fausse et l’adopter abime le souffle véritable de l’amour.

De l’autre côté, nous trouvons des formes de sentimentalité éthérée et qui ne sont, en vérité, qu’une vaporisation et des exaltations malheureuses de cet amour génital et libidinal. Il y aurait ainsi, à côté de ce corps qui nous démange, un amour romantique, idyllique, merveilleux. Cet amour spirituel, cosmique même pour certains, serait à même de nous accorder au Grand Tout arc-en-ciel. On se détourne alors de la quotidienneté qui est pourtant l’espace véritable de réalisation de l’amour.

De façon surprenante, à première vue, il s’avère, malgré leur opposition, que ces deux formes d’amour se complètent et s’accordent. Elles vont ensemble et nous passons, sans cesse, de l’une à l’autre. Nous vivons l’amour comme une excitation hormonale qu’une espèce de scrupule nous enjoint à « spiritualiser ». Nous saupoudrons la libido d’une dose de mystique lorsque celle-ci devient trop dérangeante.Voici la raison qui m’a conduit à intituler mon livre : « Et si de l’amour on ne savait rien ? » pour nommer ce point d’aveuglement. On ne sait rien de l’amour en raison de cette catastrophe qui enténèbre de la façon la plus radicale notre rapport à l’amour. Nous avons bien trop peur de l’amour, de son ampleur, de son risque, de sa folie. Nous préférons un rapport de consommateur à la sexualité et à une rêverie désincarnée.

 

Nous sommes abimés par de fausses idées

Cette déchirure au cœur de l’amour, opérée par l’histoire de l’Occident, est d’une incroyable violence. Dans La Dialectique de la raison, le philosophe Theodore Adorno note très justement : « Une telle dissociation qui mécanise le plaisir et déforme la passion en leurre attaque l’amour dans son centre vital. »
L’amour n’a, en effet, rien ni d’une pulsion ni d’une passion spirituelle. Il est la modalité la plus directe et la plus vivante de rapport au monde. L’amour est la vérité de l’être humain avant qu’il n’ait eu l’idée de se couper en deux ! Il est la vérité de l’unité de l’être humain. L’unité de son corps et de son cœur, l’unité de sa présence et de celle du monde.

Aussi, nous comprenons qu’il est impossible d’entrer dans l’amour, sans comprendre qu’il n’est pas une pulsion, qu’il ne tient pas de la biologie, qu’il n’est pas éthéré, que sa finalité n’est pas « spirituel » au sens habituel du terme. L’amour est un engagement de tout notre être, le plus concret et le plus profond qui soit.

Pourquoi nous sommes si souvent désabusés ?

Les conséquences de cette conception fautive sont immenses. Nous en sommes tous, d’une manière plus ou moins accentuée, marqués. Le signe le plus frappant en est la disparition de l’amour de toute discussion sérieuse et au premier chef dans la vie sociale.

Entre l’instinct aveugle et les bons sentiments, les gens un peu avisés ont préféré cesser de parler d’amour, choisissant même d’en dénoncer le leurre.

Le discours tenu sur l’amour a été en effet privé de son sol, tenant plus du prêche auquel personne ne fait attention, que d’une parole de vérité. Une rêverie. On nous a abreuvé de généralités, d’idées douceâtres, de principes si déconnectés de toute réalité qu’il est devenu indispensable de les refuser. « Aimer vous les uns les autres », « Aime ton prochain », « Choisis l’amour et non la haine »… de telles idées sont devenues si vagues qu’elles ressemblent à des édulcorants.

Nous avons aussi repéré que de tels propos servent à des manipulations culpabilisatrices. Dans Risquer la liberté, j’ai parlé de la façon dont ma grand-mère me parlais d’amour : « Ah ! Fabrice, comme je t’aime… » et à chaque fois que j’entendais ce préambule, je savais que mon compte était bon et qu’une vague de demandes ou de reproches allait s’en suivre.

Aucun homme politique ne peut, par exemple, parler aujourd’hui d’amour. Imaginez un homme qui commence son discours à la tribune en disant : « Je vous aime. » Une profonde méfiance et une intense crispation s’en suivraient naturellement. Nous n’y croyons pas une seconde.

Notre réaction est tout à fait justifiée. Parce que l’amour appartient désormais soit à l’ordre abjecte de la décharge libidineuse, soit à celui de la mièvrerie — il ne dit plus la vérité.

L’amour n’a donc plus la possibilité de trouver sa place dans le champ de la société — que ce soit comme amour fou, comme amitié ou amicalité, ou encore comme fraternité. Nous sommes convaincu que seul domine le combat de tous contre tous — Hobbes — , qu’un être ne peut survivre qu’en ayant écrasé ses semblables — Darwin — , que c’est le seul égoïsme individuel qui permet la prospérité économique — Adam Smith. Depuis plusieurs siècles, en ayant nié l’ampleur de l’amour, on l’a repoussé du champ social et intellectuel pour lui laisser comme seul espace libre l’intimité médiocre de chacun.

Si bien que le sujet est désormais laissé aux journaux féminins et aux entreprises industrielles de rencontres qui donnent des recettes pour trouver l’âme sœur, la tromper ou la garder. Tout ce qu’il est permis de dire aujourd’hui sur l’amour concerne la façon d’augmenter ses performances sexuelles ou de réussir sa vie de couple en dix leçons. L’amour a déserté les espaces politiques, économiques, éducatifs… bref tous les lieux qui constituent une société Ce qui concerne l’homme est sa capacité à produire et à consommer non l’amour identifié à l’intimité, l’irrationnel, la sentimentalité.

 

Ce qu’est l’amour…

Les derniers mots de la Divine Comédie témoignent d’un autre rapport à l’amour. Dante y écrit en effet : « L’Amour est ce qui meut le Soleil et les autres étoiles. » Il ne parle pas de pulsions, il ne parle pas de psychologie ou de corps, il ne rêve pas de fusion mystique avec le « grand Tout » ; il dit de l’amour qu’il est qui ce qui met en mouvement et anime l’entièreté de ce qui est.

Or Dante n’est pas un poète mineur parmi d’autres mais celui qui a su dire, à un moment de notre histoire, le sens de l’amour. L’amour ne tient ni du charnel, ni d’un sentiment désincarné mais est ce qui fait vie, en moi comme hors de moi.

L’amour est ce qui porte chaque être à entrer en rapport à quoi que ce soit — le temps qu’il fait ce matin, la fleur posée sur mon bureau, l’ami cher qui se tient à mes côtés, l’ami au loin que mon cœur tient en sa garde, le malheureux qui crie dans un appartement à côté. La vérité même de notre être est toujours d’avance en mouvement, ouvert, soucieux voire inquiet. Sans amour, je n’aurais pas même l’idée de parler et de venir au devant d’autres personnes. Comment aurais-je le désir et le souci de faire apparaître quelque chose qui nous devienne commun ?

Il n’y a que deux possibilités de se mettre en mouvement. Soit par intérêt soit par amour. L’amour est la clef véritable. Il n’y a pas d’autre alternative. La seule chose qui nous fait nous lever le matin puis nous habiller est, même si c’est de façon embryonnaire, incomplète, inapparente, l’amour. Qu’est-ce qui nous meut ? C’est l’amour.

Fabrice  Midal www.ecole-occidentale-meditation.com