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Frappe le ciel, écoute le bruit Ce que vingt-cinq ans de méditation m'ont appris

Blog de : fabrice

Introduction du livre,  Ouvrir les yeux

Quand j’étais enfant, mes grands-parents, qui étaient des juifs venus de Pologne, réunissaient toute la famille pour les fêtes de Pâques. Nous lisions à voix haute un texte évoquant la sortie d’Égypte de nos ancêtres, esclaves du pharaon. C’était l’occasion de nous inscrire dans une histoire et de nous interroger sur la manière de sortir de notre propre esclavage, de nos propres enfermements, pour mieux entrer dans le printemps de la vie.
J’aimais beaucoup le moment où c’était à nous, les enfants, d’intervenir et de lire un passage du texte. Nous devions ensuite poser des questions. Pourquoi célèbre-t-on cette fête ? Pourquoi y mange-t-on des herbes amères ?
Comme il est merveilleux de poser des questions ! En vieillissant, on finit par se faire prendre par tout ce qu’on sait, par tout ce qu’on croit savoir et qu’on entend dire. La méditation a beaucoup à voir avec ce retour à l’expérience de ne pas savoir, d’être questionnant et appelé ainsi au renouveau.

Même si je connaissais les réponses – nous mangions des herbes amères pour nous souvenir de la douleur de l’esclavage –, j’étais content de les entendre de nouveau et surtout de me voir ainsi offerts l’espace et le temps pour pouvoir demander. Frappe le ciel, écoute le bruit est ce qu’au Japon, dans la tradition zen, on nomme un koan. C’est une phrase qui ne vient pas dire quelque chose au sujet de quelque chose, comme : « La neige est blanche » ou : « Je suis fatigué. » Elle est une interrogation infinie. Une interrogation qui n’appelle aucune réponse définitive et qui met en mouvement. Elle laisse ouverte notre attention, notre curiosité. Elle a un sens qu’il faut chaque fois éprouver à neuf. C’est une phrase qui fait faire quelque chose à celui qui la lit. Elle est comme certains vers poétiques. Si je dis : « Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant », l’appréciation que je peux en retirer ne s’épuise pas avec la compréhension que je peux en avoir. Au contraire, ce vers d’Arthur Rimbaud garde un mystère que chaque récitation me permet d’approfondir : le mystère d’être un être humain, de pouvoir s’asseoir sur la terre, d’aimer, de pleurer ou de sourire. Ce que je vais vous raconter dans ce livre, c’est une manière d’habiter ce questionnement infini que m’a offert la pratique de la méditation.

La méditation, je l’enseigne depuis une quinzaine d’années et j’ai fondé, en 2006, l’École occidentale de méditation pour la transmettre de manière rigoureuse et laïque. Pendant toutes ces années et dans les livres que j’ai écrits, je n’ai jamais tenu à évoquer mon chemin. Il n’a rien d’extraordinaire ou de remarquable. Méditer, ce n’est du reste pas chercher à atteindre quelque chose. C’est redevenir comme l’enfant que j’étais, qui pose une question quant au fait d’exister. Il existe un vieux conte dans lequel un homme riche qui a trois fils tombe malade. Il fait venir des médecins de toutes sortes qui ne connaissent rien à son mal et ne peuvent lui procurer aucun soulagement. À la fin, un médecin étranger lui dit que seul un oiseau vivant au sommet d’une montagne pourra lui rendre la santé. Il envoie son fils aîné à la recherche de l’oiseau, en lui promettant de grands biens s’il parvenait à le lui apporter et lui donne de l’argent pour voyager à sa guise. Le jeune homme se met en route, mais à la première auberge il s’arrête. Il décide d’y rester pour boire, manger et faire la fête. Inutile d’aller plus loin se dit-il, le bonhomme est vieux, et s’il meurt j’aurai son héritage. Au bout de quelque temps, le vieux seigneur envoie le cadet qui prend la même route que son frère et s’arrête lui aussi à l’auberge. Puis le dernier des enfants part. Mais à l’appel de ses deux frères à le rejoindre pour se divertir ensemble, il refuse, décidé à poursuivre sa route. Après bien des mésaventures, il réussit à revenir avec l’oiseau et la plus belle des jeunes filles. Les frères, juste avant qu’ils ne parviennent au but, fous de jalousie, le poussent dans un puits. Ils rentrent chez leur père qui les accueille en héros. Mais l’oiseau ne chante plus et la princesse ne dit pas un mot. Le jeune homme, qui n’est pas mort dans sa chute, se rend déguisé dans la maison de son père. Aussitôt l’oiseau chante et la jeune fille parle enfin. La vérité est rétablie.
L’oiseau est l’intermédiaire entre l’ici-bas tangible et l’au-delà incertain. Dans de nombreux contes, il vient aux hommes les inciter à sortir de leurs habitudes et à oser entrer plus avant dans l’inconnu. Il est ainsi celui qui vient nous guérir de notre oubli. Il vient rétablir le vieux père de sa maladie et rappeler par son chant la vérité du coeur pur.

Un koan est parfois donné à un méditant pour l’aider à ne rien saisir, à abandonner le souci de tout contrôler et de tout maîtriser. Pour ouvrir le ciel de son esprit. La seule réponse est celle qui, partant de l’ici le plus concret, donne à entendre de façon immédiate ce qu’est le fait d’être humain. À force de savoir beaucoup de choses, on oublie parfois l’essentiel. Dans ce livre, j’ai voulu dire comment la méditation m’interrogeait, comment elle appelle à partir à la recherche d’un oiseau – l’air libre personnifié qui vient nous rappeler que l’important est tout près, à portée de main. Qu’il suffit de se poser et d’ouvrir les yeux pour le trouver.

Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation