Babylone, voilà un nom aussi fascinant que terrifiant. Fascinant car cela évoque la grandeur d’une civilisation, d’un empire. Terrifiant car cela rappelle la corruption de l’homme, les récits de la Bible. Mais quelle que soit l’opinion, l’antique cité ne laisse pas indifférent. Mythique et légendaire dès les auteurs grecs, Babylone évoque aussi les jardins suspendus. Cette Merveille du Monde a-t-elle jamais existé dans cette ville ?
Une grande exposition entièrement consacrée à Babylone se tenait dernièrement
au musée du Louvre, une première mondiale. Un constat s’impose. Si nous
connaissons assez largement l’histoire des souverains babyloniens, la ville
reste à découvrir. Les dernières fouilles de grande envergure remontent à un
siècle et encore, elles furent limitées à quelques zones précises de la cité.
Une grande portion du site urbain reste peu ou pas connu. Et la situation
actuelle en Irak ne permet pas de reprises des fouilles avant plusieurs années.
Les derniers rapports montrent une dégradation du site.
Où sont donc
passés les jardins suspendus ?
La tradition est parfois tenace : les jardins
suspendus de Babylone sont à Babylone ! Mais la réalité n’est pas aussi claire
que cela. Il y a une dizaine d’années, l’assyriologue Stephanie Dalley a décidé
de reprendre entièrement le dossier et sa conclusion est sans appel : les fameux
jardins ne se sont jamais trouvés à Babylone mais à Ninive. Et il faut bien
avouer que bien peu d’éléments permettent aujourd’hui de continuer à soutenir
l’hypothèse. Car malgré les efforts des archéologues, l’analyse des sources
babyloniennes, rien ne mentionne ces jardins. Il faudrait faire remonter la
construction de ces jardins au roi Nabuchodonosor II, souverain néo-babylonien.
Cette tradition nous vient d’un prêtre de Marduk, Bérose, vivant vers 300 av.
J.-C.
Nabuchodonosor fut un des grands bâtisseurs de Babylone. C’est à
lui que l’on doit l’un des plus célèbres monuments de la ville : l’immense porte
d’Ishtar, visible au musée Pergame de Berlin. Il est étonnant, et les
assyriologues soulignent le problème, que le roi, qui s’enorgueillit de ses
constructions, ne mentionne dans aucun texte dédicatoire ou inscription royale,
les jardins. S’il en fut le créateur, étonnant que les sources babyloniennes
soient muettes. Pis, aucun document, aucune inscription, aucun relief n’indique,
ne montre, n’évoque ces fameux jardins suspendus dans la ville avant
Nabuchodonosor, ou après. Outre l’absence textuelle, l’archéologie n’a rien
révélé de probant, malgré l’envie des archéologues de les situer dans Babylone.
Il est tout aussi intéressant de noter que seuls des auteurs tardifs
comme Strabon, Diodore de Sicile ou encore Flavius Joseph mentionnent cette
fantastique verdure. Par contre, Hérodote, auteur grec bien connu, qui aimait
décrire et exagérer les descriptions, ne les mentionne pas ! Et nous savons que
ces auteurs tardifs confondaient facilement Babylone et Ninive.
De
Babylone à Ninive
Donc, aujourd’hui, il faudrait considérer les jardins
suspendus à Ninive, une des grandes capitales de l’empire assyrien, qui domina
outrageusement le Proche-Orient, l’Égypte et l’ensemble de la Mésopotamie durant
les VIIIe et VIIe siècle. Plusieurs grands souverains assyriens, dont
Sénnacherib, eurent un penchant certain pour les jardins. Nous avons même une
grande représentation, relief datant d’Assourbanipal, d’un de ces jardins situés
sur les pentes d’une colline, planté d’une abondante végétation et alimenté en
eau par aqueduc et réseau de canaux. Cette représentation pourrait être nos
fameux jardins ! Et cette représentation, visible au British Museum, est
explicite pour que l’on puisse apprécier les jardins royaux de cette ville !
D’autre part, il semble bel et bien que les Assyriens connaissaient le système
d’Archimède de la vis sans fin. Ils dateraient du règne d’Assurbanipal ou de
Sénnacherib. La portée politique ne fait aucun doute pour montrer l’universalité
du roi et son pouvoir.
Mais le débat est sans doute loin d’être clos car
les partisans des jardins à Babylone demeurent nombreux…
Les grandeurs de
Babylone
L’histoire de Babylone remonte au moins au milieu du IIIe
millénaire. Malheureusement, nous savons bien peu de choses sur les premières
décennies, ou siècles, de la cité. Les niveaux archéologiques les plus anciens
n’ayant pas été atteints par les fouilleurs ! Très rapidement, dès l’origine
peut-être, Marduk fut le grand dieu de la cité et de son peuple. Le temple de
Marduk, l’Esagil, était déjà là. Le nom même de Babylone vient de l’akkadien
ancien dont la première forme fut Ba(b)bar ou Ba(b)bal pour devenir bab-ilu ou
bab-ilim. Mais jusqu’au 18e siècle avant J.-C., Babylone est une ville de
moyenne puissance. Il faut attendre le couronnement du roi le plus glorieux de
toute l’histoire de Babylone, dont le nom resta des millénaires comme un
modèle : Hammurabi. Régnant plus de 40 ans (1792-1750 av. J.-C.), Hammurabi va
conquérir un immense territoire sur toute la Mésopotamie, s’imposant face aux
puissants voisons tel l’État de Larsa. La tour de Marduk, la fameuse ziggourat
ou Tour de Babel, existe déjà. Il embellit la ville et les temples, réforme en
profondeur l’État, l’administration. Fin politicien et juriste remarquable, il
est l’auteur du plus vieux code juridique connu : le code Hammurabi, aujourd’hui
conservé au Musée du Louvre à Paris.
Par la suite, la dynastie kassite
va permettre à Babylone de connaître une période faste sur le plan culturel et
scientifique même si les Hittites, d’encombrants voisins, tout comme l’Assyrie
et le Mitanni, troublent régulièrement la Babylonie. Le royaume de l’Élam
ravage, avec l’aide des Assyriens, le royaume et il faut attendre Nabuchodonosor
I (1125-1104 av. J.-C.) pour que Babylone renaisse réellement. Mais l’Assyrie
donne des coups de boutoir qui finissent par faire céder Babylone malgré une
faiblesse récurrente de ce royaume.
Le puissant roi conquérant Teglat
Phalassar III (VIIIe siècle) sonne le réveil de l’Assyrie, qui finira par
conquérir et annexer Babylone. Lles relations entre les deux États se révéleront
toujours conflictuelles, les Assyriens considèrent Babylone comme leur bien
naturel et légitime. Une énième révolte et le meurtre du représentant assyrien,
et fils du roi, décide Sennacherib d’agir fortement en reprenant la ville en 689
et surtout en la détruisant, la noyant sous les eaux, pillant les édifices
officiels. Son fils Asarhaddon (680-669) ordonne la reconstruction de la ville.
Mais rapidement, la ville redevient rebelle. Le roi place sur les deux trônes
(Assyrie, Babylonie), deux fils. L’héritier du trône de Babylone se révolte et
combat son frère, Assurbanipal, nouveau roi d’Assyrie (688-631). Cette guerre
civile finit par affaiblir et saper les fondations de l’empire assyrien, qui
finit par s’écrouler sous la double offensive de Nabopolassar, nouveau maître de
Babylone (et fondateur de la dynastie des néobabyloniens), et des Mèdes (les
Perses). Nous sommes alors vers 610-609. Malgré la brièveté de l’empire
néobabylonien (610-539), la ville va connaître une renaissance exceptionnelle
grâce au long règne de Nabuchodonosor II (605-562). Il renforce considérablement
les défenses de la ville, bâtit de nouveaux palais et temples, perce la porte
d’Ishtar.
François Tonic Rédacteur en chef de Pharaon Magazine